“Quelle belle vie !” (Enrique Vila-Matas)

Quelle belle vie ! Il a dit un jour qu’il ne pouvait passer par le boulevard Bonne-Nouvelle sans penser à Breton et à Nadja. Et je ne peux jamais passer par Paris sans penser à Nadeau. Je me souviens de cette fois où il a dit que, fondamentalement, les intellectuels sont sympathiques. Quelle manière plus élégante de faire disparaître le grand drame de l’horrible XXe siècle ? Une finesse d’esprit. Un grand lecteur, amant génial de Blanchot et de Perec, et toujours méfiant de Camus. Et quelle belle chose d’être surréaliste jusqu’à la mort !

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Numéro 1087 de la Quinzaine littéraire: hommages à Maurice Nadeau

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Hommages de Thierry Laisney, Gilles Lapouge, Jean Lacoste, Enrique Vila-Matas, Alain Veinstein, Laurent Margantin, Colette Kerber, Georges-Arthur Goldschmidt, Ling Xi, Pierre Pachet, Albert Bensoussan, Norbert Czarny, Jean-Jacques Lefrère, Christian Mouze, Mathieu Riboulet, Michel Plon, Jean-Paul Deléage, Marie Etienne, Christian Dufourquet, Sophie Ehrsam, Jean-Jacques Marie, Benoît Laureau, Catriona Seth, Odile Hunoult, Jean-Luc Tiesset, Hugo Pradelle, Maurice Mourier, Natacha Andriamirado, Tiphaine Samoyault, Laure Adler, Gérard Noiret, Jacques Fressard, Dominique Rabourdin, Christian Descamps, Jean-Michel Kantor, Vincent Milliot, Pascaline Mourier-Casile, Monique Le Roux, Pierre Michon, Georges Raillard, Pascal Engel.

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Ferdydurke, de Witold Gombrowicz: « Puisque cela fait plaisir à Nadeau, publions ! »

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C’est Kot Jelenski qui, le premier, me parla de Gombrowicz et me conseilla de publier Ferdydurke dont il me transmit la traduction par Brone. La lecture de Ferdydurke me convainquit d’avoir affaire à un auteur insolite, original et de grand talent. Je décidai de le publier dans la collection des Lettres nouvelles. A l’époque, je devais soumettre mes choix au comité de lecture de Julliard, dont je faisais d’ailleurs partie, et que dominait François Le Grix aux goûts très classiques. Le verdict de Le Grix, en dépit des circonlocutions polies dont il l’entoura, fut net : Ferdydurke était un ouvrage inclassable, difficile à lire, sans qualités particulières, et encore plus difficile à vendre comme premier ouvrage d’un auteur polonais inconnu.
J’attendis une année avant de présenter à nouveau Ferdydurke au comité de lecture. Entre-temps avaient paru dans Preuves une nouvelle de Witold et les commentaires de François Bondy. J’insistais sur l’importance reconnue par François Bondy à cet auteur polonais et sur la nécessité de le publier dans ma collection qui était de recherche et de découverte. Il ne toucherait sans doute pas le grand public, mais le rôle que je jouais chez Julliard avec « Les Lettres nouvelles » m’imposait de le publier. Ferdydurke fut à nouveau refusé sous le prétexte que la traduction n’était pas au point. C’est pourtant dans cette traduction que, l’année suivante et après que j’eus à nouveau présenté Ferdydurke au comité de lecture, René Julliard trancha en faveur de la publication : « Puisque cela fait plaisir à Nadeau, publions ! » Mon obstination avait fini par l’emporter.
J’ignorais alors, je ne l’ai appris que par Witold lui-même dans le numéro des Cahiers de l’Herne qui lui est consacré, que Ferdydurke avait été présenté à Julliard quelques années avant mon arrivée dans sa maison d’édition, et qu ’il avait été refusé à l’instigation de François Le Grix. Comment celui-ci aurait-il pu se déjuger ?
Me demander si j’aimais personnellement Ferdydurke ou si, plutôt, j’en reconnaissais la valeur comme éditeur, est sans objet. Je choisissais pour ma collection les ouvrages, à la fois, qui me plaisaient et dont j’appréciais la valeur sans me demander s’ils auraient ou non un succès commercial, pour la raison simple que je ne participais pas aux risques financiers, ce qui me laissait une grande liberté. Cette liberté, acquise chez Julliard, j’ai pu la faire reconnaître ensuite chez Denoël où j’ai continué de publier les ouvrages de Witold.
Gombrowicz était un auteur exigeant. Dans presque toutes ses lettres il se plaint, récrimine à propos des retards des traducteurs ou de la publication. Il reconnaît que la publication de Ferdydurke en français a entraîné la publication en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, mais il me reproche sans cesse de ne pas faire assez pour lui. C’est un auteur pressé, anxieux, impatient de « consolider » comme il dit sa « situation littéraire » à Paris, clef selon lui d’une reconnaissance par le monde entier de sa qualité de grand écrivain. Il craint que je ne le place au rang des autres auteurs que je publie, alors que, dans son esprit, il les domine tous. Il ne prend pas avec sérénité l’information selon laquelle je m’intéresse, par exemple à Bruno Schulz. Il voudrait que je fasse davantage de publicité pour ses ouvrages. En fin de compte il me voit trop occupé d’activités diverses : comme critique, comme directeur de revue, et ne me tient pas pour un véritable éditeur.
Christian Bourgois, devenu directeur littéraire de Julliard après la mort de celui-ci, lui convient davantage. C’est à lui qu’il confie ce Paris-Berlin que je semble avoir dédaigné. Dans ses Entretiens avec Dominique de Roux, il prend plaisir à dire : « Voici de nouveau un ouvrage qui échappera à Nadeau. » Ce sera ma punition.
Il est vrai que je ne comprends pas son impatience, son désir de publicité. Par manière de plaisanterie, je lui prédis que, de toute façon, il a le temps pour lui, qu’il obtiendra un jour le prix Nobel. Je ne croyais pas si bien dire : en 1969, quelques mois avant sa mort, deux académiciens suédois me rendent visite, Gombrowicz est sur les rangs des lauréats possibles. Ma plaisanterie était plus sérieuse que je ne le pensais moi-même. Et la nouvelle de la disparition, relativement précoce, de Witold, m’oblige à un retour sur moi-même : il avait toutes les raisons de penser que le temps lui était compté, qu’il lui fallait se faire reconnaître de son vivant pour un des grands écrivains de notre époque.

Maurice Nadeau

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Serviteur ! Hommage à Maurice Nadeau (par Norbert Czarny)

Serviteur !

C’était le titre d’un de ses livres, un recueil d’articles sur des écrivains qui avaient compté pour lui. C’était aussi le mot qui définissait au mieux le groupe constitué par Maurice Nadeau, à la Quinzaine littéraire. J’ai l’honneur d’être de ce groupe, d’en partager les valeurs et d’espérer qu’elles continueront d’être vécues à la Quinzaine.

Servir donc, pour commencer. Pas un maître, pas une idole, pas une mode ou des idées. Servir les mots, les livres, ceux qui patiemment les conçoivent et les écrivent. Servir la langue, telle qu’elle s’écrit, se parle, se vit. Servir sans oublier qui l’on est, d’où l’on vient. Maurice était pupille de la Nation. Son père était mort « au champ d’honneur », sa mère, illettrée, travaillait comme servante à Reims puis à Paris.

Il était enfant de l’école républicaine, et de son parcours exceptionnel je retiens le jeune instituteur qu’il avait été. Il aurait pu devenir professeur de lycée, puisque, normalien, il aurait eu les titres. Mais il avait fait ce choix des plus jeunes, et déjà le choix de la transmission. Il m’est difficile de ne pas trouver là un modèle : sans l’école de la République, le fils d’un émigré polonais qui avait fait ses classes dans la nuit et le brouillard silésiens ne serait jamais devenu ce qu’il est.

Maurice Nadeau aimait la simplicité, à tous égards. Il ne faisait jamais de façon, et quand il n’aimait pas, ou se méfiait, il ressemblait à un chat. Son regard, une mimique, et on avait tout compris. Il aimait admirer. Ces dernières semaines, il relisait Casanova et Cendrars avec une sorte de gourmandise et d’innocence, oui, innocence de celui qui redécouvrait l’auteur de L’Or et de Moravagine. Avec lui, autour de lui, nous aimions admirer, et rejeter les fausses valeurs. Peut-être nous sommes-nous trompés, sans doute avons-nous oublié certains textes, une langue nouvelle, mais à notre décharge, disons que nous cherchions les meilleurs pour parler de ces livres quand nous-mêmes ne savions pas le faire. Il est difficile de bien écrire sur un auteur d’Asie centrale, d’Indonésie, ou tout simplement sur tel écrivain français dont la radicalité nous désarçonne.

Je connais peu de groupe ou de société qui ressemble au comité qu’avait rassemblé Maurice Nadeau à la Quinzaine. La plupart des membres, tous des bénévoles, sont de brillants universitaires, écrivains, chercheurs, traducteurs. Nul parmi eux ne se hausse du col, n’emploie ces « moi je » qui envahissent les médias. La modestie de Maurice déteignait sur nous. Il n’aimait pas qu’on parle de lui, de son âge, de ce qu’il avait écrit ou fait. C’était déjà du passé quand bien même cela s’était produit quelques jours ou mois avant. Il fallait se projeter dans le futur, et le futur, c’était, ou c’est, le prochain numéro. Chaque réunion commençait par le tour de table, une fois que la clochette qu’il agitait avait retenti. Alors on parlait de ce qu’on lisait, de ce qu’on avait en train, de ce qu’on donnerait bientôt. Et c’était toujours comme ça.

Nous avons servi la Quinzaine, servi un maître qui n’en était pas vraiment un puisqu’il nous laissait toute liberté. Peu de journaux contiennent de longs articles sur des livres qui ne se vendront pas, qui ne feront pas la une par le battage commercial, le scandale ou la vulgarité. Maurice Nadeau n’avait pas de vrai a priori idéologique. J’ai parlé du misérable Journal de Morand, des lettres geignardes et parfois géniales (mais ce n’était pas les mêmes) de Céline. Malgré ou en raison de ses engagements militants, Maurice n’était pas le chef d’un clan politique. Il excluait l’extrémisme, la haine, quelle qu’elle soit. Pas d’autre contrainte, d’aucune sorte.

Cette liberté, si rare dans la presse ou les médias, nous la payons cher. Vu de l’extérieur, du point de vue des « marqueteurs » et « gestionnaires », du point de vue des « communicants », nous sommes des dinosaures ou les derniers tenants d’un monde oublié, enfoui. Si résister aux miasmes, aux bruits parasites et à un air du temps qui s’envolera comme ceux qui le chantent est être un dinosaure, tant mieux pour la préhistoire !

Les beaux projets, même menés dans l’adversité ou parce qu’ils sont menés dans l’adversité, méritent de survivre à qui les a fondés. Maurice Nadeau laisse un héritage et on ne peut qu’espérer qu’il prospèrera. Aujourd’hui, alors que le créateur disparaît, c’est même tout ce qu’on peut désirer.

Norbert Czarny

Remerciements à Norbert Czarny et Claude Riva (l’Ecole des lettres) qui nous ont autorisés à reprendre cet hommage.

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Le chemin de la vie

Un film de Ruth Zylberman

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Moments rares

C’est grâce à Jean Lacoste que j’ai commencé à écrire pour la Quinzaine littéraire en 2000 (premier article sur Novalis). Journal dont le fondateur me fascinait depuis mes années d’études, que j’avais pu écouter un jour à la librairie José Corti où il présentait son livre Grâces leur soient rendues qui venait de paraître. Je vivais alors en Allemagne. Les premiers temps, je regardais ce qui m’intéressait dans la bibliographie de la Quinzaine et proposais mes services à Anne Sarraute. Par la suite, c’est elle qui m’appela pour me proposer des compte-rendus. Pendant plusieurs années, trop intimidé, je n’ai pas osé prendre contact ni rencontrer Maurice Nadeau. Je lisais les livres qu’on m’envoyait, écrivais mon compte-rendu, le communiquais à Anne Sarraute, il était publié, ça me faisait plaisir. C’est seulement en 2006 que, lors d’un passage à Paris, j’ai osé sonner à la porte de la Quinzaine. Chaleureux accueil, moment amical, un mot gentil de Maurice Nadeau sur mes papiers. Deux ou trois rencontres ont suivi au fil des ans, avec toujours le trac avant, puis finalement le bonheur d’être à ses côtés. En mai 2011, pour son centenaire, deux heures émouvantes chez lui, rue Malebranche, avec ma femme Rosario avec qui il parla du Mexique de Trotsky. La surprise du tutoiement, naturel pour lui. Son humour, sa vitalité. Combien de livres ai-je lu grâce à lui, combien d’auteurs contemporains de langue allemande m’a-t-il fait découvrir ! En treize ans, des dizaines. Et année après année, en le lisant, en l’écoutant, mon rapport à la littérature devenu plus intense, plus mystérieux aussi, par cet effort de lecture et d’écriture « en sa compagnie » (car même loin il était présent, et il restera présent). Je lui dois tant. Mais c’est lui qui vous remerciait, et de quelle façon, comme l’an dernier après avoir lu mon article sur Christa Wolf que je venais de lui envoyer au moment où il finissait justement de lire Ville des anges, vaste interrogation sur l’histoire du vingtième siècle. Juste quelques mots dans un message, pour exprimer généreusement une convergence à la fois littéraire et politique entre un homme de son expérience et moi qui en avais beaucoup, beaucoup moins. On collaborait aussi à la Quinzaine pour ces moments rares avec Maurice, qu’on garde au fond du cœur.

Laurent Margantin

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